Inconstance sociale, ça sent le sapin pour les associations ?
Il est 16h ce mardi 5 décembre 2017 à Faux-la-Montagne, petit village de 410 habitants perché dans la Montagne Limousine. Aujourd’hui, c’est le dernier jour d’embauche d’Émilie, employée jusqu’alors comme coordinatrice du centre social. Suite à un défaut de financement découlant de la situation de faillite de la communauté de communes Creuse grand sud, son contrat de travail a été rompu. Un coup de fil à Pôle Emploi : et, non, le poste en emploi aidé/CAE de Marlène, salariée en tant que secrétaire-comptable, ne sera pas non plus renouvelé. Mardi prochain, le 12 décembre, au lieu de se rendre à son bureau, elle devra aller pointer à Pôle Emploi.
Rétrospective
En juin 2014, la déclaration en préfecture de l’association « Constance social club »(CSC), officialise une dynamique déjà en marche, réunissant des habitants du village et de ses alentours, souhaitant ouvrir un lieu à vocation sociale dans le bourg. L’initiative est chaleureusement accueillie par la Municipalité. L’association développe toutes sortes d’activités initiées par une équipe grandissante de bénévoles et d’usagers et est soutenue par la mairie et d’autres partenaires institutionnels.
Après trois ans d’existence bénévole et de services proposés sur le bassin de vie de Faux-la-Montagne, commune éloignée de bon nombre de services publics, le Constance Social Club fait la demande et reçoit de la Caisse d’Allocation Familiales (CAF) de la Creuse un agrément de préfiguration de Centre Social. L’association crée deux emplois : une personne pour la coordination génrale et une personne pour l’administration comptable.
Pour l’année 2017, l’association prévoit 2 autres embauches et plusieurs offres de services civiques.
Cela est rendu possible grâce au soutien de la CAF de la Creuse et à l’existence des emplois aidés. L’objectif visé étant bien-sûr l’ouverture des locaux où sont prévus des ateliers d’art appliqués, un bistrot de village et le développement des activités déjà en cours, activités qui devraient permettre au centre social d’augmenter sa part d’auto-financement.
Que fait le Constance Social Club ?
Depuis ses débuts, l’association mène ou a mené des activités aussi diverses que :
un club de rire, des majorettes, des jardins partagés, la mise en réseau des cafés culturels associatifs en Limousin, un groupe de parole pour les personnes en décrochage professionnel, des conférences, des débats, un travail de fond sur la « question employeur », un salon de coiffure et de beauté loufoque et épisodique, de l’édition de publications artistiques, des soirées chansons ou musicales, des ateliers d’échange de savoir-faire pour petits et grand, la distribution des passeports cultures du département, un salon du livre de Noël, etc. Les semaines du « Carnaval Sauvage » et de la « Fabrique du 1er mai », sont deux événements annuels qui rythment, à l’automne et au printemps, la vie de l’association. Des temps de rencontre larges où les usagers, voisins et amis de l’association, du Plateau de Millevaches et d’ailleurs, se retrouvent…
Toutes ces activités sont proposées ou initiées dans le but de favoriser le lien entre les habitants. Il s’agit de travailler au bien-être de chacun, de développer des réseaux de solidarité, d’entretenir l’inter-connaissance des acteurs du territoire et de proposer un accès à une offre culturelle riche, partagée et libre.
Le Constance social club coordonne également le PAVL (Pôle d’Animation de la Vie Locale) qui réunit les associations : Pivoine : association d’éducation populaire proposant des formations et des ateliers ; la crèche Tom Pousse ; Cadet Roussel : maison des jeunes et des jeux.
La structure est également membre de réseaux comme le réseau national des cafés culturels associatifs, Aliso (acteurs du lien social), Associations-nous, etc.
Rentrée politique
Durant l’été, le gouvernement proclame que la « béquille » des emplois aidés – des CAE-CUI en l’occurrence – est inutile et que leurs attributions et renouvellements seront gelés jusqu’à nouvel ordre…
En parallèle la loi « NOTRE » impose déjà aux territoires une fusion des Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) : communautés de communes et communautés d’agglomération. Cette fusion sème souvent le trouble puisqu’elle s’accompagne d’une baisse des dotations financières de l’État qui crée un contexte peu favorable à l’arbitrage serein des compétences obligatoires et surtout optionnelles dont ces territoires souhaitent se doter.
Malgré cela, la CAF de la Creuse maintient la signature du Schéma Directeur d’Animation de la Vie Sociale, qui a pour objectif de sauvegarder une cohésion territoriale sur la question sociale, à l’échelle du département, en y associant l’Etat, le Département et la MSA.
Le désir de mener leurs actions demeure au sein des associations dont les ressources se réduisent pourtant drastiquement. A l’automne 2017, les membres du CSC font le choix douloureux d’une rupture conventionnelle de contrat « préventive » pour éviter la déconfiture et envisage de poursuivre son activité en « service minimum » avec une seule salariée. De la prévision de 6 permanents (4 salariés et 2 services civiques) , l’équipe passera à une permanente ! Les partenaires – surpris par cette décision, qu’ils qualifient toutefois de raisonnable – sont confiants : les actions du CSC semblent s’inscrire dans les priorités édictées par le gouvernement en matière de renouvellement des contrats CAE en cours.
La sanction d’un non renouvellement du contrat aidé de Marlène tombe comme un couperet, laissant le conseil d’administration sous le choc et dans la position de devoir annoncer à une salariée que son contrat prend fin dans …une semaine. Une situation humaine tout simplement inacceptable.
Parfait paradoxe
La situation du CSC est préoccupante. Mais ce qui l’est encore plus, c’est qu’elle donne le ton de l’absence de soutien à nos fragiles campagnes de la part des gouvernants
Pourtant, pas plus tard qu’il y a quelques jours, on entendait sur les ondes radio le secrétaire d’état auprès du ministre de la cohésion des territoires, Julien Denormandie, s’exprimer sur ce ton :
« Il y a un certain nombre d’associations qui font un travail formidable sur les territoires, dont nous avons absolument besoin. Les emplois aidés, on ne les supprime pas. Il en reste 200 000 sur l’année 2018 ( on passe de 280 000 à 200 000 ) […] Ces emplois aidés doivent en priorité aller vers les tissus associatifs, les tissus sociaux, les tissus de santé, en particulier en milieu rural et dans les quartiers populaires et les zones d’outre-mer.
[…] Il faut soutenir les associations sur le terrain et c’est pour cela que nous avons une politique progressive et que nous maintenons 200 000 emplois aidés sur l’année prochaine. »
Une hyper ruralité innovante ?
Nos initiatives rurales s’exercent depuis plusieurs années déjà à innover afin de répondre au plus près aux besoins des habitants. Elles inventent des modèles économiques adaptés à leurs activités et renforcent un tissu local fragile. La suppression des emplois aidés met le doigt sur la disparition progressive des aides structurantes aux associations.
Que vont devenir nos campagnes et leurs habitants face à l’abandon des pouvoirs publics et à la déroute des EPCI ?
L’éducation et l’accueil de nos enfants : compétence optionnelle ?
L’accès à l’emploi pour les 25-35 ans : compétence optionnelle ?
L’animation du territoire et l’accès à la culture : compétence optionnelle ?
La sensibilisation à l’environnement : compétence optionnelle ?
L’accueil de nouvelles populations : compétence optionnelle ?
La liste est encore longue..,
Vivre et travailler au pays, c’est tout simplement ce que l’on demande !