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Projet #Bledsàpart – Le Monde

19 mai 2018 - Association

Projet #Bledsàpart – Le Monde

Vous avez peut-être croisé Camille Bordenet lors de son passage à Faux-la-Montagne. Elle est l’auteure de cette article paru dans Le Monde dans le cadre d’un projet dénommé « Bled à part ». Elle a su entendre qu’ici la mobilisation était au rendez-vous mais que l’actualité du moment n’était pas que rose. L’équipe du CSC la remercie pour son écoute et vous invite à lire cet article qui relate notre actualité. Les photos sont de Thierry Laporte.

Le projet #Bledsàpart
Cette année, la rédaction du Monde part à la recherche d’histoires, de témoignages, d’acteurs qui ont décidé de se mobiliser pour dynamiser leur territoire.

Retrouvez tous nos reportages dans notre rubrique et n’hésitez pas à nous signaler des initiatives qui se sont déroulées dans votre village ou département en répondant à notre appel à témoignages.

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A Faux-la-Montagne, les habitants se mobilisent pour que perdure la dynamique du village

François Chatoux, ancien maire de Faux-la-Montagne (Creuse) et figure du plateau limousin, avait coutume de répéter, avec le bagou qu’on lui connaissait : « Ici, on ne peut pas se payer le luxe de choisir qui on accueille. Alors, on accueille tous les projets. Et même si la moitié se casse la gueule, ça veut dire que l’autre moitié marchera ! » Une formule parmi d’autres restées dans les mémoires. « Il avait compris très tôt que sur un territoire reculé comme le nôtre, il fallait prendre les devants sinon le village mourrait, raconte Catherine Moulin, regard rieur derrière ses lunettes fines, dans la petite mairie où elle lui a succédé, il y a dix ans. Il a misé sur l’accueil de nouveaux habitants, le soutien à tous types de projets et à une vie associative riche plutôt qu’à l’entretien des trottoirs. »

Quarante ans plus tard, le village de 400 habitants perché sur les contreforts du plateau verdoyant de Millevaches continue d’en récolter les fruits. A l’heure où d’autres se vident inexorablement, lui voit arriver de nouveaux habitants ; jeunes actifs attirés par la dynamique du plateau, où fourmillent les initiatives, retraités de retour au pays. Un contre-exemple de la désertification qui frappe de nombreux territoires ruraux, à une heure dix de route de la première grande ville, Limoges.

« Quelque part, être loin de tout a été une chance, se dit souvent Mme Moulin. Car on a toujours su s’organiser pour répondre à nos besoins, en créant des services et des emplois. Si on avait attendu l’Etat pour avoir une crèche, on n’en aurait jamais eu ! » La crèche associative — qui emploie aujourd’hui six personnes —, a été créée il y a vingt-cinq ans par un petit groupe de parents, dont la mairesse faisait partie. Arrivés de la région parisienne avec l’envie « de vivre ensemble et de travailler autrement », certains d’entre eux venaient de créer la scierie coopérative Ambiance bois, vingt-six emplois aujourd’hui, l’un des piliers de l’économie sociale et solidaire dont vit en partie le plateau. A suivi Télé Millevaches, l’une des premières télévisions locales du pays. Les jeunes néoruraux ont vite été rejoints par de nouveaux venus, créant un terreau propice aux futures initiatives… Aujourd’hui, chaque rue du village est prétexte à découvrir une association, une société coopérative, un espace de travail partagé.

Mais derrière cette jolie fable, les habitants tiennent à rappeler « que rien n’a été donné ». Au fil des décennies, la commune s’est investie pour racheter l’auberge, cœur battant du village, créer une maison médicale, des logements pour accueillir les nouveaux arrivants… Plus récemment, elle a repris La Poste sous forme d’agence communale, alors que les horaires se réduisaient. Et la petite station-essence, qu’elle espère rouvrir vite. Autant de services de proximité vitaux pour le bourg. « On sait que c’est un équilibre qui peut vaciller si on reste les bras croisés », reconnaît Catherine Moulin. Alors tous se mobilisent, rarement à court d’idées : leur clip vidéo pour trouver un kinésithérapeute, ou celui pour tenter de garder leur facteur, ont fait le tour de la Creuse.

« Un écosystème fragile »

Après deux ans de mobilisation, les parents d’élèves ont aussi fini par arracher la pérennisation d’un poste d’enseignant et l’ouverture d’une troisième classe pour la petite école, qui ne cesse de pousser les murs. Un combat qui a rappelé à Jeannot Salvatori, l’un des parents impliqués, « à quel point l’écosystème du village reste fragile ». Sa compagne et lui ont décidé de quitter Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour s’installer à Faux, il y a deux ans et demi. Attirés, comme d’autres, par cette « capacité des gens à se prendre en charge en s’entraidant », en même temps que par ce lieu « d’alternatives sociale et politique ». Jeannot Salvatori poursuit son activité de musicien, tandis qu’Aïala a trouvé un emploi dans une association d’éducation populaire. La famille vit dans la maison Passerelle, un logement temporaire pensé par la commune et l’agence d’urbanisme locale pour accueillir les nouveaux habitants — les candidatures sont nombreuses.


En vivant ici, il a pris conscience des « logiques de métropolisation et de retrait des services publics qui déshabillent les territoires ruraux » : « Avec sept habitants au kilomètre carré, c’est sûr qu’on n’est pas rentables. Pourquoi nous ouvrir une classe, nous laisser une Poste, une petite ligne de train, ou faire venir un bus ? », ironise-t-il. Le passage à la grande région Nouvelle-Aquitaine et la fusion de la petite communauté de sept communes dans une plus grande de vingt-six — fortement endettée — restent mal vécus à Faux, où l’on a vu les centres de décision s’éloigner, en même temps que les subventions aux associations et à certains services qui font vivre le village se tarir. Au point que certains se demandent « quelle est aujourd’hui la marge de manœuvre d’une petite communauté d’habitants qui veut pouvoir décider pour elle-même ».

Loin de se résigner, les habitants ont pris le parti de se réunir au sein d’assemblées villageoises pour réfléchir au « bien commun » qu’ils tiennent à défendre. Des moments qui fédèrent le village, jeunes et anciens, néoruraux et natifs d’ici.

Des moments qui rappellent aussi à Emilie Lordemus pourquoi elle est « retenue » ici depuis maintenant quinze ans. Aujourd’hui pourtant, cette graphiste de 39 ans a le sentiment qu’on lui a « kidnappé [son] rêve ». L’initiative de centre social rural innovant qu’elle avait impulsée en 2014, soutenue par la caisse d’allocation familiale, a été stoppée par la fin des contrats aidés et des financements qui n’ont pas suivi. Bistrot associatif, club du rire… « Sur le papier, on était censés être le centre social idéal en milieu rural », déplorent les membres de l’équipe. « On se bat pour faire vivre nos territoires, répondre à des besoins, et on est rayés de la carte par des politiques qui ne tiennent pas compte de nos réalités », regrette Emilie Lordemus, qui ne peut s’empêcher d’y voir « une mort programmée des campagnes ».

Malgré l’amertume, l’équipe veut croire que la dynamique collective qui fait l’âme de Faux leur donnera l’énergie de rebondir. Cette même dynamique qui donne chaque matin une raison de se lever à Damien Morel, 33 ans, qui a repris avec son frère la boulangerie-épicerie ainsi que la caserne de pompiers, deux institutions familiales. « Il a fallu s’endetter sur vingt ans pour la boulangerie et se battre pour trouver des volontaires pour faire tourner la caserne, mais c’est une satisfaction de savoir que les habitants continuent à avoir du pain et peuvent compter sur des secours, comme ailleurs. »

Le trentenaire se dit qu’il faut bien que des jeunes natifs du village restent, pour prendre la relève. Ou reviennent. Comme Clémence Davigo, la fille de Catherine Moulin. Après six ans entre Paris et Lyon, la documentariste de 28 ans a pris conscience qu’elle n’avait « jamais vraiment retrouvé ailleurs ce qu’elle avait à Faux ». Elle travaille aujourd’hui à Télé Millevaches. Voir les jeunes revenir avec la volonté de « poursuivre le mouvement » est peut-être ce qui donne le plus raison d’y croire à la mairesse du village : « On se dit qu’on a peut-être semé quelque chose. »